À toi qui m’accompagnes depuis 35 ans, à toi que j’utilise tous les jours sans même y penser, à toi qui me sers autant à faire ma liste de courses qu’à déclamer des mots d’amour, je dédie ces quelques mots. 🙏
Nos chemins se sont croisés pour la première fois quand je devais avoir 5 ans. Et, comme toute naissance, cette première confrontation a dû se faire dans la douleur. Écrire des lignes et des lignes de lettres, sans dépasser le trait du haut, sans empiéter sur celui du bas… Il fallait que mes yeux décrivent en un geste fin et précis ce qu’ils observaient sans qu’ils puissent regarder à la fois le crayon et le modèle. C’était loin d’être évident. Et puis, je n’ai pas eu le choix, il a fallu t’utiliser pour écrire un peu partout mon prénom. Et il ne s’agissait pas de 4 ou 5 lettres comme toutes mes amies qui s’appelaient Emma ou Lucie. Non, pour moi c’étaient 9 longues lettres, dans un enchaînement bizarre de syllabes, qu’il fallait que je dompte. C’est peut-être de là qu’a été issue la lenteur qui m’était injustement attribuée durant toute mon enfance. Après tout, c’était quand-même difficile de rendre mes copies en même temps que tout le monde avec un prénom si long! ✍️
Un peu plus tard, c’étaient des leçons entières que nous recopiions du tableau. Je me souviens du jour où, pour la première fois, nous ne devions pas recopier mais écrire ce qui nous était dicté. Quelle sensation de liberté! Enfin mes yeux pouvaient uniquement se tourner vers toi. Et comme, je crois, notre histoire d’amour débutait, c’était pour moi un exercice facile et même grisant. Autant te dire que ma revanche était prise. Je n’étais plus celle qu’on devait attendre mais celle sur qui les autres voulaient copier. 😎
Les années passent et on nous demande de rédiger des textes sur tel ou tel sujet. Enfin, je peux m’exprimer! Moi pour qui l’oral est compliqué, je trouve un moyen de faire entendre ma voix. C’est aussi la période où je déménage loin, à l’autre bout du monde. 18000 kilomètres me séparent des mes amies et, à cette époque pas si lointaine de celle des dinosaures, internet n’existe pas. J’écris de longues lettres pour raconter ma vie à la France. Et je dois patienter plusieurs semaines avant de recevoir des réponses. Mais quelle joie quand enfin l’enveloppe est là, posée sur mon bureau, le timbre cacheté du mois précédent… Je dévore ce qui m’est adressé et je le lis, le relis pour être sûre de n’oublier aucun point et enfin prends mon plus joli set d’écriture pour le noiricir de mots et le décorer de stickers qui brillent. Ces échanges épistolaires sont aussi l’occasion de tester mon style. “Tu as vu ma nouvelle écriture avec les ronds sur les i? Tu en penses quoi?” 💌
Je grandis encore et vient le temps des premières amours. Qu’est-ce que j’ai pu me servir de toi à ce moment-là! À écrire de longues lettres d’amour, en appuyant si fort sur le stylo que la feuille de papier semblait se tordre de douleur. À écrire un peu partout dans mes cahiers de cours le prénom de l’heureux élu entouré de jolis cœurs. Et en parallèle à rédiger des dissertations de 10 pages. C’est sûrement grâce à toi et à mon 17 en philo que j’ai eu mon bac. 💖
Et puis… Et puis la vie fait qu’on choisit une voie ou telle autre. Pour ma part je suis partie dans un métier de terrain où tu ne prenais que très peu de place. Hasard ou pas, c’est à cette période que je me mets à remplir tous les jours des agendas, non pas avec ce qui est prévu d’arriver mais avec le contenu de mes journées passées. Tu deviens mon aide-mémoire pour moi qui en ai si peu et le moyen de garder gravé chaque jour de ma vie. 📓
À 27 ans, je pars vivre dans un pays où l’alphabet que je connaissais depuis toujours, celui que je croyais universel, en tout cas qui était pour moi une évidence, n’est pas utilisé. Donc, à 27 ans, me voilà à nouveau à remplir des cahiers d’apprentissage dans lesquels je tente tant bien que mal de recopier ces lettres nouvelles. Que c’est dur de repartir de zéro! Quelle leçon d’humilité de devenir analphabète et de se rendre compte à quel point lire et écrire est si nécessaire au quotidien (pour éviter des situations cocasses, comme celle d’assaisonner mes plats à l’acide citrique, croyant que c’était du sel…). Cette expérience m’a fait prendre conscience :
1. De la difficulté de vivre sans ta maîtrise 🥹
2. Que ce qu’on croit connaître parfaitement peut être remis entièrement en question en fonction d’où on se trouve
3. De l’incroyable faculté d’apprentissage de l’être humain pour partir de rien et arriver si bien à faire quelque chose tous les jours que ça lui paraît naturel et inné 🤘
À 30 ans, je suis à nouveau dans un pays latin dont je maîtrise globalement la langue. Mes journées de mère au foyer à l’étranger se calent au rythme des enfants. Et, quand ils m’en laissent le temps et que je regarde par la fenêtre les sommets des montagnes environnantes, l’inspiration me porte. J’écris des histoires pour les enfants, des débuts de romans pour jeunes adultes. Ma seule limite est mon imagination (et mon planning bien serré de maman!). Cette plongée en toi me permet de m’évader de mon présent parfois pesant et plutôt bruyant. C’est à ce moment-là que je me prends à rêver secrètement qu’un jour je vivrais de ma plume. Quel bonheur ce serait! Quel sentiment d’accomplissement! Mais la vie étant ce qu’elle est, elle a couru plus vite que la musique et mes projets avec toi sont restés enfouis quelque part au fond de moi (et de mon ordinateur). 💾
Alors quand, dix ans plus tard, après avoir surmonté bien des épreuves professionnelles, on me propose de cofonder une agence dans laquelle je pourrai user de ton art au quotidien, je reste ébahie. La vie m’a fait tourner autour de toi depuis le début. Et maintenant je vais vivre de ma plume. Vivre grâce à toi. 🪶
Chère Écriture, au moment où j’écris ces lignes, mon fils est en train de réciter une poésie sur toi. Comment ne pas prendre ça comme un clin d’œil de ta part? 🥰
Aujourd’hui mon Écriture, pour notre histoire commune qui dure depuis plusieurs décennies, je tiens à t’adresser le plus chaleureux des mercis. Dans toutes ces étapes de vie, tu as été mon plus fidèle compagnon. 🫂
